Samedi 14 novembre 8h27
Je me
réveille et j'ai pendant quelques secondes l'impression d'avoir fait un
cauchemar. Mais tout ceci est bien réel. Le silence de ma chambre fait
contraste avec les milliers de questions qui s'entrechoquent dans ma tête.
Je me lève
pour me scotcher à mon écran de télé et de téléphone mais je suis terrassée,
plusieurs fois mes yeux se perdent dans le vide et mon âme se met en veille.
C'est bien de ma ville dont on parle en boucle depuis hier soir... Paris, mon
amour.
Je crois que
j'ai peur.
Je ne
voudrais pas, car je ne veux pas leur faire ce plaisir mais c'est le cas ... La
boule que j'ai dans la gorge apparaît et disparaît sans réelle logique. Mais
l'effroi ne discontinue pas. Les cernes profondes des journalistes laissent à
penser que la nuit a été courte. Moi-même je n'ai pas beaucoup dormi.
Ça ressemble
donc à ça d'avoir la gueule de bois sans avoir bu. J'ai l'impression d'être sur
un bateau qui tangue, d'être secouée comme si le sol avait tremblé sous mes
pieds. Ma mâchoire est si serrée que mon souffle reste entre mes
dents. Mon cœur bat à un rythme inhabituel, il est lourd, triste, déchiré,
abîmé, à vif.
Quand je
pense qu'hier avec une amie on avait souhaité que ce shabbat nous apporte un
peu de paix...
Je me
détache de la télévision car elle ne donne pas de nouvelles informations. Une
amie m’appelle, elle a besoin de parler. Ça me fait aussi un peu de bien
d'échanger avec elle. Je suis clouée dans mon lit. Mes yeux piquent, ils sont
rougis, endeuillés.
Je voudrais
tant revenir au moment où je ne savais pas. Hier quand j'étais en train de rire
et d'écouter de la musique, vers 21h45, alors que ce drame était en train
de se passer ... Que dis-je ce drame ? Ces drames... Je voudrais encore
être hier quand ma ville n'était pas plongée dans le noir. Je pense à ceux qui
n'ont appris ça que ce matin et ont eu une nuit de répit supplémentaire.
La rue de Charonne,
je la connais mais je n'y vais pas souvent, ce n'est pas vraiment mon quartier.
Le Bataclan j'y étais allée une fois, il y a quelques années pour un concert. Rien
de particulier ne me reste en mémoire de l'endroit, un lieu de réjouissance
comme un autre, comme tous ceux qui aujourd'hui ont fermé leurs portes à
Paris.
La joie n'a
plus de place aujourd’hui, la tristesse a envahie tout et tout le monde. La
tristesse, l'effroi, l'incompréhension, la douleur, la peur ...
Je pense
alors aux vagues d'attentats en Israël, quand ça avait lieu tous
les samedi soir, quand par exemple, au Dolphinarium de Tel Aviv, 21
personnes avaient été tuées. À l'échelle d'Israël 21 personnes c'est
proportionnellement équivalent à 204 personnes en France. Comment
l'ont-ils supporté ? Comment s'en sont-ils relevés ? C'est peut-être auprès de
nos amis israéliens que nous devrions prendre conseil en ce moment ...
Et
d'ailleurs je ne sais pas pourquoi j'écris ces phrases au passé, car Israël
fait encore aujourd'hui face au terrorisme, chaque jour. Le menace est
mondiale, la menace est globale... Le monde libre et démocratique est
soumis constamment à cette menace. Personne ne semble être en
sécurité. C'est effrayant, je ne sais pas de quoi demain sera fait.
Sur les
réseaux sociaux, je vois les photos des personnes recherchées, des personnes
disparues, ils semblent si jeunes, si insouciants. Je pense à leur famille, je
n'ose imaginer leur douleur.
Ce
soir je ne peux que me raccrocher à mon optimisme et à ma foi et espérer
que nous réussirons à vivre (ensemble) après ça.
Dimanche 15
novembre 9h07
J'aime ce
moment, quand on ouvre les yeux et qu'on ne sait pas où on est, quelle heure il
est. Ce moment où on ne pense à rien m'a arraché un instant à la brutalité de
la situation. Mais malheureusement, le surlendemain, les questions ne sont pas
moins nombreuses. Les yeux ne sont pas plus reposés. Le cœur ne bat pas moins
vite.
Et pourtant
il faudra bien vivre, rire, parler, écrire, chanter, danser, aimer... Il faudra
bien faire tout ce que ces terroristes détestent en nous et dont ils sont
incapables ....
Aujourd’hui
je reprends le train pour rentrer à Paris (j’étais à Bordeaux chez mes parents
pour le week-end) et en posant le pied sur le quai de la gare Montparnasse, une
immense douleur m’envahit. Je ne peux cesser de penser aux victimes, j’ai le
cœur brisé. J’ai en alternance envie de pleurer et de hurler mais cette douleur
est sèche, rien ne sort.
Quand je
retrouve mon frère j’ai envie de le serrer fort dans mes bras.
En fond la
télé ne cesse de tourner.
Je vais me
coucher, comme la veille et l’avant-veille, le cœur lourd.
Lundi 16
novembre 7h48
Mon réveil
sonne. Ce matin il faut, en plus, aller au travail.
Depuis 2
jours et demi, je passe de la télévision, aux réseaux sociaux, à la radio. Dans
les heures que je passe éveillée, il n’y a pas eu 30 minutes pendant lesquelles
je n’ai pas été au contact de l’information. Je l’avoue, c’est usant.
Et je me
demande aussi, qu’est-ce que j’en attends ? Une autre mauvaise
nouvelle ? Donc finalement ce n’est pas plus mal de retourner travailler.
Je découvre
que mon chef nous a envoyé ce week-end un email pour savoir si nous allions
bien. Je reçois aussi ce matin un coup de téléphone de mon autre manager. Ça
doit être ça aussi l’unité nationale, prendre soin les uns des autres.
J’apprends
qu’un de mes collègues a un pote de pote dans le coma. Il est soigné à Henri
Mondor, à Créteil. Je ne pensais pas qu’aujourd’hui pouvait être pire qu’hier,
et pourtant…
Nous nous
réunissons dans le hall de l’entreprise pour faire ensemble la minute de
silence. Je la commence la tête baissée, puis je tiens ma tête droite pour
faire face aux autres et observer leur émotion. Enfin, je lève les yeux vers le
ciel et le faible rayon de soleil me fait penser à une lueur d’espoir. C’est
cliché et futile mais c’est vrai… nous avons envie dans ces moment-là de nous
raccrocher aux moindres détails.
La fin de la
journée de travail arrive et je m’aperçois qu’aujourd’hui il n’y a pas eu de
plaisanteries ou d’éclats de rire. Ca reviendra, mais pas aujourd’hui.
Je rejoins
des amies à République pour y déposer une bougie, nous nous recueillons dans
une émotion palpable. Puis, comme pour faire un pied de nez à ceux qui
voudraient que nous ne le fassions pas, nous allons prendre un verre en
terrasse, sur la place. Nous trinquons à la vie qui continue.
Mardi 17
novembre 7h48
J’entends à
peine le réveil, en tout cas je ne sursaute pas comme la veille, c’est bon
signe.
Le premier
ministre parle dans la radio, j’aime sa détermination à vouloir combattre
l’ennemi.
Ce diner
d’hier avec mes amis a vraiment été salvateur. Bien sûr, la peine est toujours
là mais j’ai, pour la première fois depuis 3 jours, les yeux en face des trous.
Le brouillard se dissipe. Et pour la première fois, ce poids sur ma poitrine se
fait plus léger.
Je sens
aussi que les voix à la radio sont moins éraillées, que les visages sont moins
abattus dans le métro, que les gens sont moins silencieux au travail, que
chacun relève doucement la tête. Finalement 3 jours, c’est peut-être le temps
qu’il faut pour faire face, 3 jours de deuil national.
Bien
évidemment, rien ne sera jamais plus pareil. Le temps de l’insouciance est
fini. Mais ne l’était-il pas déjà après Ilan Halimi, après Montauban, après
Toulouse, après Charlie, après Montrouge, après l’Hypercasher ?
Bien
évidemment toutes les questions n’ont pas disparues en une nuit, mais mon
optimisme a refait surface, comme une lumière au bout du tunnel.
Bien
évidemment il y a encore de la haine, des gens recherchés, des extrémistes mal
intentionnés mais il y a aussi des gens solidaires, des gens qui donnent leur
sang, des gens qui se rapprochent, des gens qui s’aiment, des gens ensemble,
tout simplement.
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