jeudi 19 novembre 2015

Sarah conte les jours d'après...


Samedi 14 novembre 8h27

Je me réveille et j'ai pendant quelques secondes l'impression d'avoir fait un cauchemar. Mais tout ceci est bien réel. Le silence de ma chambre fait contraste avec les milliers de questions qui s'entrechoquent dans ma tête.

Je me lève pour me scotcher à mon écran de télé et de téléphone mais je suis terrassée, plusieurs fois mes yeux se perdent dans le vide et mon âme se met en veille. C'est bien de ma ville dont on parle en boucle depuis hier soir... Paris, mon amour.

Je crois que j'ai peur. 


Je ne voudrais pas, car je ne veux pas leur faire ce plaisir mais c'est le cas ... La boule que j'ai dans la gorge apparaît et disparaît sans réelle logique. Mais l'effroi ne discontinue pas. Les cernes profondes des journalistes laissent à penser que la nuit a été courte. Moi-même je n'ai pas beaucoup dormi.

Ça ressemble donc à ça d'avoir la gueule de bois sans avoir bu. J'ai l'impression d'être sur un bateau qui tangue, d'être secouée comme si le sol avait tremblé sous mes pieds. Ma mâchoire est si serrée que mon souffle reste entre mes dents. Mon cœur bat à un rythme inhabituel, il est lourd, triste, déchiré, abîmé, à vif. 

Quand je pense qu'hier avec une amie on avait souhaité que ce shabbat nous apporte un peu de paix...

Je me détache de la télévision car elle ne donne pas de nouvelles informations. Une amie m’appelle, elle a besoin de parler. Ça me fait aussi un peu de bien d'échanger avec elle. Je suis clouée dans mon lit. Mes yeux piquent, ils sont rougis, endeuillés.

Je voudrais tant revenir au moment où je ne savais pas. Hier quand j'étais en train de rire et d'écouter de la musique, vers 21h45, alors que ce drame était en train de se passer ... Que dis-je ce drame ? Ces drames... Je voudrais encore être hier quand ma ville n'était pas plongée dans le noir. Je pense à ceux qui n'ont appris ça que ce matin et ont eu une nuit de répit supplémentaire.

La rue de Charonne, je la connais mais je n'y vais pas souvent, ce n'est pas vraiment mon quartier. Le Bataclan j'y étais allée une fois, il y a quelques années pour un concert. Rien de particulier ne me reste en mémoire de l'endroit, un lieu de réjouissance comme un autre, comme tous ceux qui aujourd'hui ont fermé leurs portes à Paris. 

La joie n'a plus de place aujourd’hui, la tristesse a envahie tout et tout le monde. La tristesse, l'effroi, l'incompréhension, la douleur, la peur ...

Je pense alors aux vagues d'attentats en Israël, quand ça avait lieu tous les samedi soir, quand par exemple, au Dolphinarium de Tel Aviv, 21 personnes avaient été tuées. À l'échelle d'Israël 21 personnes c'est proportionnellement équivalent à 204 personnes en France. Comment l'ont-ils supporté ? Comment s'en sont-ils relevés ? C'est peut-être auprès de nos amis israéliens que nous devrions prendre conseil en ce moment ...

Et d'ailleurs je ne sais pas pourquoi j'écris ces phrases au passé, car Israël fait encore aujourd'hui face au terrorisme, chaque jour. Le menace est mondiale, la menace est globale...  Le monde libre et démocratique est soumis constamment à cette menace. Personne ne semble être en sécurité. C'est effrayant, je ne sais pas de quoi demain sera fait.

Sur les réseaux sociaux, je vois les photos des personnes recherchées, des personnes disparues, ils semblent si jeunes, si insouciants. Je pense à leur famille, je n'ose imaginer leur douleur.

Ce soir je ne peux que me raccrocher à mon optimisme et à ma foi et espérer que nous réussirons à vivre (ensemble) après ça.


Dimanche 15 novembre 9h07

J'aime ce moment, quand on ouvre les yeux et qu'on ne sait pas où on est, quelle heure il est. Ce moment où on ne pense à rien m'a arraché un instant à la brutalité de la situation. Mais malheureusement, le surlendemain, les questions ne sont pas moins nombreuses. Les yeux ne sont pas plus reposés. Le cœur ne bat pas moins vite.

Et pourtant il faudra bien vivre, rire, parler, écrire, chanter, danser, aimer... Il faudra bien faire tout ce que ces terroristes détestent en nous et dont ils sont incapables ....

Aujourd’hui je reprends le train pour rentrer à Paris (j’étais à Bordeaux chez mes parents pour le week-end) et en posant le pied sur le quai de la gare Montparnasse, une immense douleur m’envahit. Je ne peux cesser de penser aux victimes, j’ai le cœur brisé. J’ai en alternance envie de pleurer et de hurler mais cette douleur est sèche, rien ne sort.

Quand je retrouve mon frère j’ai envie de le serrer fort dans mes bras.

En fond la télé ne cesse de tourner.

Je vais me coucher, comme la veille et l’avant-veille, le cœur lourd.


Lundi 16 novembre 7h48

Mon réveil sonne. Ce matin il faut, en plus, aller au travail.
Depuis 2 jours et demi, je passe de la télévision, aux réseaux sociaux, à la radio. Dans les heures que je passe éveillée, il n’y a pas eu 30 minutes pendant lesquelles je n’ai pas été au contact de l’information. Je l’avoue, c’est usant.

Et je me demande aussi, qu’est-ce que j’en attends ? Une autre mauvaise nouvelle ? Donc finalement ce n’est pas plus mal de retourner travailler.

Je découvre que mon chef nous a envoyé ce week-end un email pour savoir si nous allions bien. Je reçois aussi ce matin un coup de téléphone de mon autre manager. Ça doit être ça aussi l’unité nationale, prendre soin les uns des autres.

J’apprends qu’un de mes collègues a un pote de pote dans le coma. Il est soigné à Henri Mondor, à Créteil. Je ne pensais pas qu’aujourd’hui pouvait être pire qu’hier, et pourtant…

Nous nous réunissons dans le hall de l’entreprise pour faire ensemble la minute de silence. Je la commence la tête baissée, puis je tiens ma tête droite pour faire face aux autres et observer leur émotion. Enfin, je lève les yeux vers le ciel et le faible rayon de soleil me fait penser à une lueur d’espoir. C’est cliché et futile mais c’est vrai… nous avons envie dans ces moment-là de nous raccrocher aux moindres détails.

La fin de la journée de travail arrive et je m’aperçois qu’aujourd’hui il n’y a pas eu de plaisanteries ou d’éclats de rire. Ca reviendra, mais pas aujourd’hui.

Je rejoins des amies à République pour y déposer une bougie, nous nous recueillons dans une émotion palpable. Puis, comme pour faire un pied de nez à ceux qui voudraient que nous ne le fassions pas, nous allons prendre un verre en terrasse, sur la place. Nous trinquons à la vie qui continue.

Dans la journée, pour les 30 ans d’une de mes plus proches amies, un diner s’est improvisé pour le soir. Bien évidemment nous parlons des attentats, mais contre toute attente nous arrivons à parler d’autre chose et à rire. Rire, c’est si présent habituellement dans ma vie et pourtant ça faisait 3 jours que ça ne m’arrivait plus. Rire et faire rire, ça m’avait tant manqué. Victor Hugo écrivait : « Faire rire, c'est faire oublier. Quel bienfaiteur sur la terre, qu'un distributeur d'oubli ! » Et c’est vrai, l’espace d’un instant nous avons oublié le reste du monde.



Mardi 17 novembre 7h48

J’entends à peine le réveil, en tout cas je ne sursaute pas comme la veille, c’est bon signe.
Le premier ministre parle dans la radio, j’aime sa détermination à vouloir combattre l’ennemi.

Ce diner d’hier avec mes amis a vraiment été salvateur. Bien sûr, la peine est toujours là mais j’ai, pour la première fois depuis 3 jours, les yeux en face des trous. Le brouillard se dissipe. Et pour la première fois, ce poids sur ma poitrine se fait plus léger.

Je sens aussi que les voix à la radio sont moins éraillées, que les visages sont moins abattus dans le métro, que les gens sont moins silencieux au travail, que chacun relève doucement la tête. Finalement 3 jours, c’est peut-être le temps qu’il faut pour faire face, 3 jours de deuil national.

Bien évidemment, rien ne sera jamais plus pareil. Le temps de l’insouciance est fini. Mais ne l’était-il pas déjà après Ilan Halimi, après Montauban, après Toulouse, après Charlie, après Montrouge, après l’Hypercasher ?

Bien évidemment toutes les questions n’ont pas disparues en une nuit, mais mon optimisme a refait surface, comme une lumière au bout du tunnel.

Bien évidemment il y a encore de la haine, des gens recherchés, des extrémistes mal intentionnés mais il y a aussi des gens solidaires, des gens qui donnent leur sang, des gens qui se rapprochent, des gens qui s’aiment, des gens ensemble, tout simplement.

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